Financement du militantisme à la base : pourquoi les relations entre militants et bailleurs de fonds sont importantes
Par Otto Saki
Chargé des programmes mondiaux dans le domaine « Engagement Civique et Gouvernement » à la Fondation Ford
Cet article a été initialement publié sur le compte Linkedin de l’auteur.
Le 29 mars, CIVICUS a organisé un débat entre militants et bailleurs de fonds sur l’importance de leur relation dans le financement du militantisme à la base. Ce débat était opportun car le monde est confronté à des problèmes complexes, qui exigent un financement urgent destiné aux acteurs à la base afin de trouver des solutions locales et réalistes en faveur d’un ordre mondial plus juste et équitable. Il existe de nombreux obstacles au financement du militantisme à la base. Cependant, la question des principaux facteurs qui favorisent la limitation des ressources ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite. Ces facteurs sont le pouvoir, la race et la « décolonisation » du secteur du développement et de l’aide au développement, conjugués à d’autres comportements qui les favorisent, tels que le patriarcat, la misogynie, le capacitisme, la classe sociale et la caste.
De nombreux efforts sont toutefois déployés pour modifier ces pratiques, avec la participation de bailleurs de fonds privés (et parfois de bailleurs de fonds bilatéraux). Mais il reste encore beaucoup à faire. Les dirigeants de Funders for Real Cost, Real Change (« Bailleurs de fonds pour un coût réel, un changement réel ») ont examiné le coût réel du soutien au travail de changement social et de la rupture du « cycle de famine » pour la société civile, et par extension pour les militants à la base, et ont courageusement proposé des solutions. Dans le cadre de ces efforts, les résultats des recherches de l’organisation Humentum ont montré que l’instauration d’un climat de confiance et l’octroi de ressources à la société civile pour couvrir entièrement ses opérations sont essentiels pour briser le « cycle de famine ». Malheureusement, les inégalités dans les dynamiques de pouvoir font peser sur les militants à la base la lourde responsabilité de démontrer qu’ils sont dignes de confiance. Les bailleurs de fonds, quant à eux, peuvent prouver leur confiance envers les militants en leur apportant un soutien sans réserve, un financement flexible et, surtout, en respectant leurs idées et celles des communautés à la base. Un tel niveau de confiance crée les conditions nécessaires à un engagement plus profond, plus authentique et plus sincère.
Le débat entre militants et bailleurs de fonds doit aller au-delà de l’aspect purement financier, afin de créer les conditions nécessaires à l’établissement de relations vectrices de changements profonds. Cela est possible grâce à un partenariat à long terme qui corrige directement les inégalités dans les dynamiques de pouvoir inhérentes à la relation de financement, comme l’a observé Humentum. Les bailleurs de fonds ont la possibilité de repenser les relations de financement comme un désir et une intention collective de soutenir les efforts visant à relever les défis de société. Il est indispensable d’humaniser l’engagement des militants à la base et des bailleurs de fonds. Les bailleurs de fonds doivent accepter de modifier leurs pratiques au niveau organisationnel. Un tel changement implique de réduire les processus bureaucratiques, d’être plus flexible et de concevoir des cadres de redevabilité mutuelle. Pour soutenir le militantisme à la base, il faut remettre en question les préjugés profondément ancrés chez les bailleurs de fonds. Je fais notamment référence à des déclarations avilissantes qui minimisent la contribution des militants à la base, et, au pire, infantilisent ces militants, telles que : « il s’agit de l’argent des contribuables et on ne doit pas le gaspiller ». En outre, les bailleurs de fonds doivent accepter le fait qu’il puisse y avoir des résultats incertains ou mitigés. Un véritable partenariat accepte l’échec comme étant mutuel et comme faisant partie du voyage, et non comme une occasion de « punir » les militants à la base et les communautés auxquelles ils appartiennent.
Transférer l’argent en tant que ressource constitue une transaction. Mais augmenter les ressources au-delà de l’aspect financier est vecteur de changements profonds. L’humanisation des militants à la base en tant qu’acteurs égaux, capables et compétents est indispensable pour mettre fin aux attitudes colonialistes et aux cadres coloniaux en matière d’’infrastructure de l’aide au développement. Le transfert des ressources est une voie irréversible qui implique des pertes de pouvoir et de privilèges, mais qui sème les graines de relations et de résultats nouveaux et mutuellement bénéfiques. Il y a donc encore de l’espoir !
Vous pouvez regarder l’enregistrement vidéo du débat ci-dessous: